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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/57

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reux, toi, de fumer les mauves… Oh ! cette nuit ! et ça sera toujours comme ça, brave Jésus !… Dire que je ne vous verrai plus jamais, jamais, mes mignons !

Et elle promenait ses mains sèches, dont le hâle terreux s’écaillait de blanc à la longue, sur les cheveux bouclés de Paul et de Rose, qui la regardaient étonnés et un peu effrayés par ces yeux blanchâtres et fixes qui, grands ouverts, ne voyaient pas.

Les lamentations continuelles et monotones de l’aveugle agaçaient Louise, très nerveuse et irritable depuis ses couches. La jeune femme commençait à se lever, après avoir gardé un mois le lit. Mais, pâle convalescente, elle souffrait atrocement d’étouffements et de fortes palpitations de cœur, au moindre effort. La présence de sa belle-mère ne lui plaisait que médiocrement. Jamais elle n’avait aimé les parents de son mari, la vieille surtout. Toujours ils l’avaient regardée comme une intruse, ne lui pardonnant pas tout à fait d’avoir usurpé, au foyer de leur fils, la place d’une autre plus riche et dont les écus les auraient sauvés de la ruine. Jadis, durant les quelques jours de vacances qu’elle et son mari, après le raccommodement, passaient auprès d’eux, ils affectaient de la traiter cordialement pour tromper Jean, mais, le cas échéant, une sourde rancune apparaissait, montait à leurs visages durs, presque haineux, et, peu sincères, ils ne lui ménageaient guère les allusions blessantes. Et Louise se les rappelait encore, avec amertume, ces heures écoulées auprès de ces deux vieux sans affection pour elle.

C’est pourquoi ce tête à tête journalier, au coin du feu, avec Caussette, à quoi l’hiver l’obligeait, l’importunait et l’aigrissait même. Car, à part soi, elle reprochait à l’aveugle de ne pas leur avoir spontanément offert ses économies. Puisqu’on la nourrissait, qu’avait-elle à garder ainsi son argent, cet argent qui eût tant fait plaisir à Jean et aurait chassé de son front les soucis qui l’assombrissaient ? Par