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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/59

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Pourtant il était, lui, le plus malheureux de tous, car il assumait tous les soucis et toutes les fatigues. Après sa tâche déjà pénible de la journée, il continuait à s'occuper du ménage : Louise était tout juste capable d'allaiter au biberon les deux bessonnes et de veiller sur elles. Aussi les épaules voûtées, les mains gercées de Jean disaient ses travaux si rudes et ses yeux se cernaient de ses veilles et de ses nuits sans sommeil.

Chaque matin, avant la rentrée des élèves, il se rendait chez les fournisseurs qui, irrégulièrement ou mal payés, n'avaient plus guère de considération pour un si pauvre hère et ne lui épargnaient ni les airs grognons ni les rebuffades. Que de fois il rentrait abattu, ayant perdu sa belle insouciance de naguère, à ruminer sans cesse les mêmes pensées sombres d'angoisse! Et à peine dans sa maison, au lieu de calme, au lieu du paisible intérieur qu'il rêvait, il retrouvait les giries de sa mère aveugle et les grands yeux si tristes de sa femme maladive et si pâle. Il ne recouvrait un peu de tranquillité que dans sa classe, où, ses élèves en allés, il se retirait parfois, pour y pleurer en paix.

Louise devinait les tortures de son mari et, oubliant par moment ses propres souffrances physiques, se montrait touchée du dévouement silencieux de Jean. Alors, elle se faisait à son tour aimante et câline, le plaignait de sa vie si remplie de luttes et de peines et s'accusait d'être une malade, une «  propre à rien ». Leurs baisers et leurs caresses n'en étaient que meilleurs et versaient dans leurs cœurs quelques minutes d'oubli. Puis, unis dans leur tendresse douloureuse, ils regardaient ensemble l'avenir si noir et tâchaient à trouver un moyen de sortir de l'impasse. Car, chaque mois, c'était la même chose: le traitement de Coste s'évanouissait comme une fumée, sans laisser de trace dans leurs doigts, et les dettes, éteintes d'un côté, s'accroissaient d'autant de l'autre.