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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/62

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bruits aigus et déchirants, pareils aux cris d’âmes en peine, errantes dans les ténèbres.

Jean ne savait par quoi commencer. L’esprit flottant, il se leva, tisonna le feu, y jeta une bûche et rapprocha sa chaise, le dos gelé, le cœur battant à grands coups.

Un silence pénible se fit, tandis que les clameurs des rafales hurlaient dans la vallée et dans les combes voisines, telle l’approche d’une foule de géants en marche. Tout tremblait.

— Eh bien ! — exclama Caussette, — quoi veux-tu me dire ?… On serait mieux dans son lit qu’à se geler le dos dans ta cuisine.

— Mère, — fit Jean avec effort, — nous sommes sept à manger maintenant… Je gagne à peine cent francs par mois… Louise est malade et ses couches… Sans réfléchir à l’énorme disproportion de situation et d’habitudes, à la grande différence de la vie paysanne et de celle de son fils, égoïstement la vieille l’interrompit et s’écria, émerveillée par ce chiffre qui représentait pour elle une grosse somme :

— Té ! pourquoi te plains-tu ? Je vous entends, toi et ta femme, vous plaindre sans cesse, depuis que je suis ici… Cent francs ! nous n’en avions pas tant avec ton pauvre père, à peine la moitié… Et pas moins, nous aurions vécu à l’aise, si tu ne nous avais pas tant coûté pour faire de toi un monsieur… Cent francs ! —ajouta-t-elle, en employant une expression locale imagée qui, chez les paysans sert à peindre le comble de la richesse, — avec cent francs, nous aurions eu des chevilles d’or !

Jean courba la tête sous le flux de ces paroles qui lui faisaient prévoir une défaite certaine ; mais le souvenir des hontes endurées fouetta son courage.

— Ecoutez-moi, mère, — supplia-t-il, — et soyez bonne comme quand j’étais petit… Cent francs, c’est beaucoup, il