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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/84

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Pour arriver à la fin du mois sans avoir à les renouveler, Louise ménagea ses médicaments qui coûtaient si cher et qui représentaient pour elle la santé. Jean se consumait de regret.

— C’est ma faute, pensait-il. Je n’aurais pas dû être si bête.

Oui, pas ça dans la maison et cependant il allait lui falloir de l’argent. N’était-il pas convoqué pour une conférence pédagogique qui devait réunir au chef-lieu tous les instituteurs du canton, le 28 mars, c’est-à-dire le lundi suivant ? Certes, il se promettait de s’y rendre à pied et d’y dépenser le moins, possible. Mais, décemment, il ne pouvait partir sans un sou dans ses poches ; sait-on jamais ce qui peut advenir ?

Il fallait de l’argent. Pour s’en procurer, Jean prit la diligence et alla engager au mont-de-piété sa montre et quelques bijoux de sa femme. Il en coûta beaucoup à Louise de se séparer de ses bagues et de son bracelet d’argent, humbles cadeaux de Jean, au temps des fiançailles, riens précieux et seuls restes visibles d’un cher passé d’amour.

Dès son arrivée à Montclapiers, Coste fila vers un quartier éloigné du faubourg où s’arrête la diligence, et là discrètement se renseigna. Une fois l’adresse connue, il se dirigea furtivement vers le mont-de-piété, choisissant les rues peu fréquentées, de peur de se trouver soudain en face de quelque connaissance. Il lui semblait que tous ces gens qu’il rencontrait devinaient son projet, le regardaient avec dédain, et le rouge de la honte empourprait son visage. Plusieurs fois, il passa et repassa devant la porte du mont-de-piété, n’osant entrer, le cœur aussi serré d’angoisse et de honte que s’il allait tenter une démarche infamante. Comme il enviait l’indifférence résignée d’une chétive femme, apportant le paquet de linge qui lui permettrait de donner une bouchée de pain aux siens ou les allures désinvoltes, gouailleuses, de deux étudiants en dèche qui, un rire aux lèvres,