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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/86

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— Alors, peut-on vous offrir un bock?...

Jean s'excusa, prompt à s'échapper. Si bien que M. Largue le voyant s'éloigner si vite ronchonna :

— Mais quelle mouche le pique, ce sot personnage?... On dirait que je lui fais peur... Cependant, je croyais que nous nous étions quittés bons amis !...

Jean courait presque dans les rues, sans but, sans direction, pour fuir. Affolé, les tempes battantes, il répétait douloureusement :

— Oh ! oui, il a compris, il m'a vu sortir... Il ricanait en regardant mon pantalon usé, mes souliers éculés. Il dira à tous, là-bas, à Peyras, qu'il m'a vu aller au mont-de-piété... Il le dira à l'inspecteur... tous mes chefs sauront que je suis misérable... mon Dieu! mon Dieu! quelle honte!... quelle honte!...

Avec ses idées étroites, son amour-propre de petit fonctionnaire, il croyait sa dignité perdue à jamais, s'exagérait les conséquences, au cas où M. Largue — qui d'ailleurs ignorait que le mont-de-piété fût dans cette rue — parlerait du dénuement de son ancien adjoint. Ses chefs avertis, Coste s'imaginait sa situation compromise, l'avenir barré, les mauvaises notes pleuvant dru comme grêle sur son pauvre dos.

Les yeux lui piquaient; il s'arrêta, prêt à pleurer. Une haine farouche lui vint contre cet homme apparu sur son chemin, pour son malheur. Il se dit que sans M. Largue, il n'aurait pas été déplacé, qu'il serait encore là-bas, à Peyras, tranquille comme jadis, pauvre mais ne devant rien à personne et ignorant l'âpreté de toutes les hontes bues.

Mais au souvenir des siens, sa rage tomba. Un grand abattement succéda. Mélancolique, Jean erra plusieurs heures dans les ruelles solitaires d'un faubourg s'ouvrant sur la rase campagne, toute verdoyante au soleil, où il était parvenu sans savoir comment.