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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/95

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je suis vêtu comme un prince. Je vais chez le tailleur, quand il me tombe un œil. C’est pas nous qui enrichirons les cafetiers ! L’année prochaine, je suis soldat, oui, sac au dos, et je vous assure que n’étaient les frais d’école normale qu’on m’obligerait à rembourser, je repiquerais sans hésiter, d’enthousiasme, et j’enverrais le métier et mes gamins morveux à tous les cinq cents diables !

On rit. Bertrand était un faubourien de Montclapiers, et, en bon enfant d’une assez grande ville, il avait la langue bien pendue.

— Le secrétariat de la mairie ? — disait d’ailleurs un titulaire, — pas toujours ; il y a aujourd’hui, dans les villages, des bonshommes, fils, frères, cousins du maire, qui nous l’enlèvent et prennent pour eux les deux ou trois cents francs qui serviraient à mieux faire bouillir nos pots. C’est mon cas ; le maire a pour secrétaire son oncle, une vieille baderne qui n’a jamais su son orthographe… D’ailleurs, ce n’est pas une ressource sûre, car si vous déplaisez au maire, il vous casse aux gages… Et les cadeaux, autre misère !… Oui, comptez là-dessus et vous verrez plus tard, les jeunes… De belles promesses, oui ; puis, entre temps, quelque morceau de lard rance, des couennes, une douzaine d’œufs parfois couvés, dont on se débarrasse, ou bien une panerée d’amandes ou de raisins… Et la circulaire ministérielle ! —

— Oh ! les circulaires, — riposta Bertrand avec un geste de gavroche, — si jamais j’échoue dans un village, pourvu qu’on apporte, j’accepterai des deux mains, et avec un grand merci : cheval donné, on ne regarde pas à la bride.

— Cependant, à écouter tous les fabricants de beaux discours, — reprit un autre instituteur, — nous n’avons plus rien à désirer… on a tant et tant fait pour nous !…

— Ah ! zut, — s’écria Bertrand, — la jolie position que la nôtre… Oui, je sais qu’il y a encore quelques bons postes, avec des suppléments communaux. Mais ça c’est pour ceux