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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/98

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dégrossis physiquement et intellectuellement, mais déjà l’imagination en travail et rêvant un avenir splendide, assuré, de monsieur instruit et élégant. Leurs études finies, ils se voyaient déçus dès leurs premiers pas dans la vie, dont les exigences matérielles les tourmentaient aussitôt ; besoigneux, ils avaient vite déchanté, surtout ceux, et ils étaient les plus nombreux, dont les parents, ouvriers ou paysans, ne pouvaient soutenir les débuts. Cet argent, qu’on leur mesurait parcimonieusement, devenait, dans la banque-route de leurs espoirs, le but à atteindre. Par ailleurs, ils constataient que des camarades d’enfance, entrés dans d’autres administrations, jouissaient vers vingt-cinq ans, après un stage moins long que le leur, d’un traitement qu’ils n’atteindraient, eux, qu’à l’âge de quarante ans et plus. Que faire alors ? Ce qui leur apportait une compensation, c’était de savoir, de se dire que l’instituteur, estimé et envié des paysans, fait souvent un bon mariage. Légende vraie jadis, mais qui s’en va, car les riches campagnards ne veulent plus guère de l’instituteur, ce sans-le-sou, pour gendre. Mais ils y croyaient encore et pour eux tout tendait à cela : trouver la femme dont la dot leur donnerait la sécurité matérielle. Avec cette hantise, ils devenaient très utilitaires et se gardaient de leur âge, de la divine et désintéressée passion d’aimer pour aimer.

Quelques-uns épousaient des institutrices et leur double traitement suffisait alors largement. Mais c’était l’exception, beaucoup hésitaient devant les risques : maladies, venue des enfants nécessitant parfois la démission ou les congés non rétribués de la femme. C’est aussi pourquoi beaucoup d’institutrices coiffaient sainte Catherine. Il est vrai que leur existence était moins précaire que celle des instituteurs et que, malgré la modicité de leur traitement, elles arrivaient facilement à vivre, car elles faisaient elles-mêmes leur « popote » et pouvaient mieux gouverner leur budget. Leur