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les épis

Elle voit devant elle une effroyable mort,
Mais s’occupe d’eux seuls et tremble pour leur sort.
L’eau s’élève avec bruit vers son lit solitaire,
Comme le sable autour d’un tombeau qu’on enterre ;
Déjà le toit frémit, s’incline, et, sur les flots
S’écroule en étouffant ses suprêmes sanglots.

Là-bas, là-bas, ô ciel ! qui luttent dans les ombres ?
Quels sont, de toute part, quels sont ces groupes sombres
Qui se tiennent noués aux cimes des ormeaux ?
Qui, noyés à demi, cramponnés aux rameaux,
Sont ballottés au gré de la bise et des lames ?
Des vieillards sans vigueur et de plaintives femmes,
Des vierges à l’œil doux et de faibles enfants,
Ont confié leurs jours à ces gîtes mouvants.
Ici, l’arbre chargé d’une masse trop lourde,
S’incline lentement, pousse une plainte sourde,
Et rend les malheureux à l’abîme obscurci ;
Là, c’est un faible enfant que, de son sein transi,
Laisse tomber, hélas ! une mère épuisée.
Et, plus loin, un vieillard dont la main s’est brisée
Sur les traîtres rameaux d’un cenellier noueux,
Replonge dans les flots son crâne sans cheveux.

Où vont-ils ? Où vont-ils sur la mer furibonde,
Ces canots vacillants et tout remplis de monde ?