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tonkourou


Sous un ciel sillonné par des vols d’hirondelles,
Partout, des charriots, dans leurs hautes ridelles,
Transportent au fenil, ardent comme un bûcher,
Le foin plein de senteurs qui va se dessécher.
La roue au fort moyeu crie au fond de l’ornière,
Et le trèfle empourpré laisse à chaque barrière
Une vive guirlande, un radieux feston
Où vient se reposer l’aile du hanneton.

Ruzard serra ses foins, ce jour-là, de bonne heure :
Il referma sur lui sa tranquille demeure
Et vint aider Lozet qui charriait tout seul.
La faneuse attendait à l’ombre d’un tilleul
Le retour du vieillard. Selon l’accoutumée
C’est elle qui foulait la charge parfumée.
Ruzard s’approcha d’elle avec un doux souris :

— N’auras-tu donc jamais, dit-il, que du mépris
Pour celui qui t’adore et te reste fidèle
Malgré son désespoir.
— Puis-je t’aimer, fit elle ?
Peut-on deux fois aimer avec le même cœur ?

— Je t’aime, et c’est, Louise, assez pour mon bonheur.
Léon ne viendra plus ; pourquoi toujours l’attendre ?
Le vieux sauvage et lui semblaient ne pas s’entendre,