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LE NOM DANS LE BRONZE

se resserrent, mais ils continuent leur chemin en silence, car dans l’imagination du jeune homme, se dressent plus vigoureuses les objections au bonheur.

Marguerite s’installe au fond du canot. Steven, avant d’embarquer à son tour, se penche pour rajuster les coussins dans son dos. Elle renverse la tête, et comme il est déjà tout près d’elle, d’un mouvement imprévu, irraisonné, il appuie ses lèvres sur son front. Elle ferme les yeux. Jamais aucun geste semblable n’a encore trahi leur sentiment. Elle se tait, heureuse et confuse à la fois, et soudain, elle entend la voix étouffée et douloureuse du jeune homme, qui dit :

— Quel malheur que vous soyez canadienne-française et que je sois anglais.

Ce n’est qu’une toute petite phrase, mais elle en comprend le sens, malgré l’excitation du moment ; sa joie tombe. Réveillée de son rêve, interdite, elle sent s’écrouler l’échafaudage du bonheur. Son hymne à la vie, tout à l’heure si fervent, s’éteint dans un mutisme cruel où se préparent des sanglots.

Steven pousse le canot, reprend l’aviron. Immobile, muette, elle regarde avec obstination le fil de l’eau.