Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/125

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Restauration, grâce à la pudeur naïve de Sosthènes de la Rochefoucauld, surintendant des théâtres royaux, qui avait établi deux escaliers, un pour les hommes, un pour les femmes, et allongé d’un tiers les jupes du corps de ballet : «Voulez-vous me plaire ? disait-il à ces dames. Des pantalons larges et des mœurs ! » L’émotion fut vive à l’Opéra. Toucher aux tutus, quelle profanation ! Les danseuses ont les jambes près du bonnet, et l'on n’était plus au temps où Napoléon écrivait à son ministre des Beaux-Arts : « Dites à ces demoiselles que, si elles ne se tiennent pas tranquilles, je leur donnerai comme directeur un général qui les fera marcher militairement ». Naturellement brocards et épigrammes ne furent pas épargnés au vertueux surintendant, qui d’ailleurs eut le mérite de comprendre Rossini, de le lier à la France par un traité en règle, et de donner à l’Opéra des chanteurs tels que Nourrit, Levasseur et Mme Damoreau.

Pauline Duvernay montre de l’esprit dansant, de l’esprit parlé. « Dans la Révolte au Sérail, conte Véron, pendant les manœuvres militaires du corps de ballet, il se formait sur la scène un conseil de guerre composé des officiers supérieurs de l’armée ; le livret n’en disait pas plus. Pauline, chargée d’un des principaux rôles, imagina, par la pantomime la plus spirituelle, par les gestes les plus expressifs et les plus passionnés, de représenter tous les incidents d’une discussion animée, et de donner une idée d’un conseil de guerre tenu par des femmes. Un rire général et des applaudissements unanimes accueillirent ces jeux de scène gais et comiques… Elle mit à l’épreuve un jeune diplomate en lui demandant une de ses dents, celle du milieu. Il part, revient, apporte à Pauline la dent, montre le vide produit par l’ablation. « Malheureux, s’écrie l’espiègle, je vous avais demandé la dent du bas, et vous m’apportez celle du haut ! »

Rosita Mauri avait de la drôlerie dans l’esprit : cette Espagnole devenait parfois un gavroche parisien, comme le jour où, voyant que le tsar causait dans sa loge au lieu de la contempler, elle grondait : « Décidément, je ne mangerai plus de caviar ! » Une de ses camarades raconte qu’elle est allée la veille au Jardin des Plantes. « Tout le monde va bien dans ta famille ? ». « M., disait-on, est très belle : des yeux, une bouche, une gorge… et des attaches… — Officielles avec le Gouvernement », interrompt Mauri.