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120 LA REVUE MUSICALE 216

II

Si, délaissant le terrain historique et ses contingences, nous nous plaçons au point de vue purement théorique, la conception classique de l’art chorégraphique, aussi bien que de la peinture, d’ailleurs, de la musique, de la poésie, nous apparaîtra comme celle qui proclame l’autonomie complète de la danse, le caractère sui generis de cet art et son indépendance absolue à l’égard de la psychologie.

En musique, en peinture, comme en chorégraphie, l’idéal classique est un idéal de pureté et de liberté : ce mode d’activité qui s’appelle création musicale possède ses propres lois qui ne sont pas celles de la poésie, de la peinture, qui ne sont pas non plus celles de la psychologie. Il y a une logique musicale non moins spécifique que celle de la pensée ; la dégager, traiter le son en lui-même, c’est justement ce que s’efforcent de faire, plus ou moins sciemment, les compositeurs dits classiques. Un maître de ballet, un danseur classique, agit de même : seulement ici ce n’est plus avec le son, c’est avec le corps vivant qu’il opère. C’est de ce corps ou de ce groupe de corps, de leurs formes, de leurs aptitudes, de leurs tendances qu’il s’agit pour lui de dégager la logique spéciale qui réglera leurs mouvements.

Voici devant nous, sur la scène, un corps humain en mouvement. Si ces mouvements sont uniquement déterminés par les idées, les sentiments, les désirs, les impressions de l’individu, il n’y a pas danse ; il n’y a que pantomime descriptive ou expressive. Si les gestes, les attitudes du danseur sont en fonction directe de son état psychique, si cet état explique entièrement chacun de ces mouvements, nous sommes en dehors des limites de l’art chorégraphique qui n’existe que là où le mouvement, l’attitude deviennent fin en soi.

Il en est de même en musique : si l’activité sonore est uniquement déterminée par les sentiments, les désirs, les impressions, nous obtenons une série de cris, de gémissements, de soupirs, mais non de la musique, qui représente un système autonome de sons qui se suivent et s’engendrent selon leur affinité propre. La danse contient donc nécessairement un