Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/54

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danseuse aurait pu nous émouvoir dans une chorégraphie mieux appropriée à son architecture spéciale. Par la volonté de ses hanches étroites ou énergiquement modelées, de ses jambes robustes ou fuselées, de ses bras fragiles ou forts, par le dessin de ses épauler, de sa poitrine et de ses reins, et quelle que soit la valeur pédagogique de son professeur, une femme devra, bon gré mal gré, abandonner l’idéal de Tamar Karsawina pour celui d’Isadora Duncan, la technique d’Anna Pavlova pour celle de Loïe Fuiler, devenir une Jeanne Ronsay, ou une Trouhanowa, une Napierkowska ou une Régina Badet ! Et, comme on le dit au Palais, ce sera justice !

Le corps féminin crée sa technique. Nous le voyons au music-hall où une Spinelly, une Mistinguett ou une Dourga, dans des genres fort différents, atteignent parfois à des réalisations plastiques d’une ingéniosité remarquable et d’une grâce évidente, à cause de l’utilisation parfaite et appliquée de leurs ressources plastiques personnelles. Nous l’avons vu lorsque telle et telle transfuges du corps de ballet de l’Opéra-Comique, en changeant de tréteau, ont fait preuve soudain de qualités techniques insoupçonnées jusqu’alors : le music-hall ou le théâtre de genre ne leur avaient pourtant pas donné brusquement du génie, mais, en s’évadant des cadres rigides des quadrilles classiques où elles demeuraient des exécutantes médiocres, elles se libéraient d’un esclavage de formules transcendantes trop ardues pour leurs humbles moyens et pouvaient développer, en dehors de toute scolastique, les secrètes qualités de grâce, de force, de souplesse, d’adresse ou de charme dont les avait enrichies la bienveillante nature.

« Elles ont cessé de faire de la danse », diront dédaigneusement les petits « rats » de nos corps de ballet subventionnés, qui travaillent avec courage leur agrégation de chorégraphie. Mais non ; ces indépendantes ont simplement cessé d’être des universitaires. Elles sont semblables à des « sévriennes » qui se lancent dans le roman, la poésie ou le journalisme : elles nous laisseront parfois des réalisations médiocres, elles nous donneront parfois des chefs-d’œuvre. Mais il n’est pas plus opportun de centraliser et d’unifier l’enseignement de la danse qu’il ne serait pru-