Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde idéal, celui des réalités essentielles, la vanité des apparences et la vérité du rêve. Partout la fiction transcendante prime la vie réelle ; la défaite du rêve anéanti par les passions terrestres détermine fatalement le dénouement tragique. Dès que la sylphide a perdu ses ailes, c’en est fait de la danse : le ballet est fini.

Dans tous ces « ballets blancs » le mécanisme de la danse, le caractère et l’amplitude du mouvement sont puissamment déterminés par cette conception. L’avènement décisif des temps sur les pointes, le triomphe de l’« élévation » en résultent. Nous avons vu dans chacun de ces célèbres ballets la protagoniste, la ballerine allier une existence surnaturelle — sylphide, ondine, revenant, péri — à une destinée terrestre. S’évadant de la réalité, abordant l’au-delà, la danseuse brise avec le mouvement naturel et s’astreint à une dynamique abstraite et sublime.

Elle s’élève sur les pointes, sur l’orteil tendu et rigide ; ce n’est plus ni la marche ni la course. C’est une forme de mouvement inouïe, qui s’affranchit des lois de la gravitation, des habitudes mécaniques du mouvement vulgaire, des nécessités de l’aplomb. La ballerine n’appartient plus à la terre ; son règne est la région éthérée, le domaine de la fantaisie délivrée. La gymnastique se révèle source de symboles, tremplin de l’imagination.

À quel point et à quel moment précis se transforme la discipline traditionnelle ? Évidemment les éléments restent les mêmes, mais tels d’entre eux s’effacent, d’autres s’accentuent. Mais que de difficultés à résoudre pour le chercheur !

Ainsi le Traité de la Danse de Carlo Blasis, l’illustre maître milanais, mentionne dans le texte de la première version (1820) tels temps ou positions sur les pointes. Mais considérons les dessins correspondant à ces passages : partout le danseur s’appuie sur la demi-pointe ; c’est sur l’articulation de l’orteil que porte l’aplomb ; il y a équivoque et il vaut mieux s’abstenir de dater avec exactitude l’apparition de la danse sur les pointes.

Une autre conquête de la danse romantique, c’est l’amplitude plus grande des mouvements, le diapason plus vaste des lignes. Encore au temps de Jean-Georges Noverre, la distance extrême entre les deux pieds de