Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
PSYCHOLOGIE DES FOULES

Dans les foules humaines, le chef n’est souvent qu’un meneur, mais, comme tel, il joue un rôle considérable. Sa volonté est le noyau autour duquel se forment et s’identifient les opinions. Il constitue le premier élément d’organisation des foules hétérogènes et prépare leur organisation en sectes. En attendant, il les dirige. La foule est un troupeau servile qui ne saurait jamais se passer de maître.

Le meneur a d’abord été le plus souvent un mené. Il a lui-même été hypnotisé par l’idée dont il est ensuite devenu l’apôtre. Elle l’a envahi au point que tout disparaît en dehors d’elle, et que toute opinion contraire lui parait erreur et superstition. Tel, par exemple, Robespierre, hypnotisé par les idées philosophiques de Rousseau, et employant les procédés de l’Inquisition pour les propager.

Les meneurs ne sont pas le plus souvent des hommes de pensée, mais des hommes d’action. Ils sont peu clairvoyants, et ne pourraient l’être, la clairvoyance conduisant généralement au doute et à l’inaction. Ils se recrutent surtout parmi ces névrosés, ces excités, ces demi-aliénés qui côtoient les bords de la folie. Quelque absurde que puisse être l’idée qu’ils défendent ou le but qu’ils poursuivent, tout raisonnement s’émousse contre leur conviction. Le mépris et les persécutions ne les touchent pas, ou ne font que les exciter davantage. Intérêt personnel, famille, tout est sacrifié. L’instinct de la conservation lui-même est annulé chez eux, au point que la seule récompense qu’ils sollicitent souvent est de devenir des martyrs. L’intensité de leur foi donne à leurs paroles une grande puissance suggestive. La multitude est toujours prête à écouter l’homme doué de volonté forte