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PSYCHOLOGIE DES FOULES

Mais, dans de tels exemples, il s’agit des grands meneurs, et ils sont assez rares pour que l’histoire en puisse aisément marquer le nombre. Ils forment le sommet d’une série continue descendant de ces puissants manieurs d’hommes à l’ouvrier qui, dans une auberge fumeuse, fascine lentement ses camarades en remâchant sans cesse quelques formules qu’il ne comprend guère, mais dont, selon lui, l’application doit amener sûrement la réalisation de tous les rêves et de toutes les espéances.

Dans toutes les sphères sociales, des plus hautes aux plus basses, dès que l’homme n’est plus isolé, il tombe bientôt sous la loi d’un meneur. La plupart des hommes, dans les masses populaires surtout, ne possèdent, en dehors de leur spécialité, d’idée nette et raisonnée sur quoi que ce soit. Ils sont incapables de se conduire. Le meneur leur sert de guide. Il peut être remplacé à la rigueur, mais très insuffisamment par ces publications périodiques qui fabriquent des opinions pour leurs lecteurs et leur procurent ces phrases toutes faites qui dispensent de raisonner.

L’autorité des meneurs est très despotique, et n’arrive même à s’imposer qu’à cause de ce despotisme. On a remarqué souvent combien facilement ils se faisaient obéir, bien que n’ayant aucun moyen d’appuyer leur autorité, dans les couches ouvrières les plus turbulentes. Ils fixent les heures de travail, le taux des salaires, décident les grèves, les font commencer et cesser à heure fixe.

Les meneurs tendent aujourd’hui à remplacer de plus en plus les pouvoirs publics à mesure que ces derniers se laissent discuter et affaiblir. La tyrannie de ces nou-