Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/169

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faiblesse, car la psychologie des foules, et par conséquent des jurés, semble avoir été le plus souvent aussi inconnue des avocats que des magistrats. J’en trouve la preuve dans ce fait rapporté par l’auteur cité à l’instant, qu’un des plus illustres avocats de cour d’assises, Lachaud, usait systématiquement de son droit de récusation à l’égard de tous les individus intelligents faisant partie du jury. Or, l’expérience — l’expérience seule — a fini par apprendre l’entière inutilité de ces récusations. La preuve en est qu’aujourd’hui le ministère public et les avocats, à Paris du moins, y ont entièrement renoncé  ; et, comme le fait remarquer M. des Glajeux, les verdicts n’ont pas changé, « ils ne sont ni meilleurs ni pires ».

Comme toutes les foules, les jurés sont très fortement impressionnés par des sentiments et très faiblement par des raisonnements. « Ils ne résistent pas, écrit un avocat, à la vue d’une femme donnant à téter, ou à un défilé d’orphelins. » « Il suffit qu’une femme soit agréable, dit M. des Glajeux, pour obtenir la bienveillance du jury. »

Impitoyables aux crimes qui semblent pouvoir les atteindre — et qui sont précisément d’ailleurs les plus redoutables pour la société — les jurés sont au contraire très indulgents pour les crimes dits passionnels. Ils sont rarement sévères pour l’infanticide des filles-mères et moins encore pour la fille abandonnée qui vitriolise un peu son séducteur, sentant fort bien d’instinct que ces crimes-là sont peu dangereux pour la société[1], et que dans un

  1. Remarquons en passant que cette division, très bien faite d’instinct par les jurés, entre les crimes dangereux pour la société et les crimes non dangereux pour elle n’est pas du tout dénuée de justesse. Le but des lois criminelles doit