Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/171

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d’abord de distinguer les membres acquis d’avance à la cause. Le défenseur achève en un tour de main de se les assurer, après quoi il passe aux membres qui semblent au contraire mal disposés, et il s’efforce de deviner pourquoi ils sont contraires à l’accusé. C’est la partie délicate du travail, car il peut y avoir une infinité de raisons d’avoir envie de condamner un homme, en dehors du sentiment de la justice. »


Ces quelques lignes résument très bien le but de l’art oratoire, et nous montrent aussi pourquoi le discours fait d’avance est inutile puisqu’il faut pouvoir à chaque instant modifier les termes employés suivant l’impression produite.

L’orateur n’a pas besoin de convertir tous les membres d’un jury, mais seulement les meneurs qui détermineront l’opinion générale. Comme dans toutes les foules, il y a toujours un petit nombre, d’individus qui conduisent les autres. « J’ai fait l’expérience, dit l’avocat que je citais plus haut, qu’au moment de rendre le verdict, il suffisait d’un ou deux hommes énergiques pour entraîner le reste du jury. » Ce sont ces deux ou trois-là qu’il faut convaincre par d’habiles suggestions. Il faut d’abord et avant tout leur plaire. L’homme en foule à qui on a plu est près d’être convaincu, et tout disposé à trouver excellentes les raisons quelconques qu’on lui présente. Je trouve, dans un travail intéressant sur Me Lachaud, l’anecdote suivante  :

« On sait que pendant toute la durée des plaidoiries qu’il prononçait aux assises, Lachaud ne perdait pas de vue deux ou trois jurés qu’il savait, ou sentait, influents, mais revêches. Généralement, il parvenait à réduire ces récalcitrants. Pourtant, une fois, en province, il en trouva un qu’il dardait vainement de son argumentation la