Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/193

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Le meneur peut être quelquefois intelligent et instruit ; mais cela lui est généralement plus nuisible qu’utile. En montrant la complexité des choses, en permettant d’expliquer et de comprendre, l’intelligence rend toujours indulgent, et émousse fortement l’intensité et la violence des convictions nécessaires aux apôtres. Les grands meneurs de tous les âges, ceux de la Révolution surtout ont été lamentablement bornés ; et ce sont justement les plus bornés qui ont exercé la plus grande influence.

Les discours du plus célèbre d’entre eux, Robespierre, stupéfient souvent par leur incohérence ; en se bornant à les lire, on n’y trouverait aucune explication plausible du rôle immense du puissant dictateur :

« Lieux communs et redondances de l’éloquence pédagogique et de la culture latine au service d’une âme plutôt puérile que plate, et qui semble se borner, dans l’attaque ou la défense, au « Viens-y donc ! », des écoliers. Pas une idée, pas un tour, pas un trait, c’est l’ennui dans la tempête. Quand on sort de cette lecture morne, on a envie de pousser le ouf ! de l’aimable Camille Desmoulins. »

Il est quelquefois effrayant de songer au pouvoir que donne à un homme possédant du prestige une conviction forte unie à une extrême étroitesse d’esprit. Il faut pourtant réaliser ces conditions pour ignorer les obstacles et savoir vouloir. D’instinct les foules reconnaissent dans ces convaincus énergiques le maître qu’il leur faut toujours.

Dans une assemblée parlementaire, le succès d’un discours dépend presque uniquement du prestige que l’orateur possède, et pas du tout des raisons qu’il propose.