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IDÉES, RAISONNEMENTS ET IMAGINATION

Il serait superflu d’ajouter que l’impuissance des foules à raisonner juste les empêche d’avoir aucune trace d’esprit critique, c’est-à-dire d’être aptes à discerner la vérité de l’erreur, à porter un jugement précis sur quoi que ce soit. Les jugements que les foules acceptent ne sont que des jugements imposés et jamais des jugements discutés. À ce point de vue, nombreux sont les hommes qui ne s’élèvent pas au-dessus de la foule. La facilité avec laquelle certaines opinions deviennent générales tient surtout à l’impossibilité où sont la plupart des hommes de se former une opinion particulière basée sur leurs propres raisonnements.


§ 3. — L’IMAGINATION DES FOULES

De même que pour les êtres chez qui le raisonnement n’intervient pas, l’imagination représentative des foules est très puissante, très active, et susceptible d’être vivement impressionnée. Les images évoquées dans leur esprit par un personnage, un événement, un accident, ont presque la vivacité des choses réelles. Les foules sont un peu dans le cas du dormeur dont la raison, momentanément suspendue, laisse surgir dans l’esprit des images d’une intensité extrême, mais qui se dissiperaient vite si elles pouvaient être soumises à la réflexion. Les foules, n’étant capables ni de réflexion ni de raisonnement, ne connaissent pas l’invraisemblable : or, ce sont les choses les plus invraisemblables qui sont généralement les plus frappantes.

Et c’est pourquoi ce sont toujours les côtés merveil-