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PSYCHOLOGIE DES FOULES

prêts à renaître. Il n’était pas d’auberge de village, qui ne possédât l’image du héros. On lui attribuait la puissance de remédier à toutes les injustices, à tous les maux ; et des milliers d’hommes auraient donné leur vie pour lui. Quelle place n’eût-il pas pris dans l’histoire si son caractère eût été de force à soutenir tant soit peu sa légende !

Aussi est-ce une bien inutile banalité de répéter qu’il faut une religion aux foules, puisque toutes les croyances politiques, divines et sociales ne s’établissent chez elles qu’à la condition de revêtir toujours la forme religieuse, qui les met à l’abri de la discussion. L’athéisme, s’il était possible de le faire accepter aux foules, aurait toute l’ardeur intolérante d’un sentiment religieux, et, dans ses formes extérieures, deviendrait bientôt un culte. L’évolution de la petite secte positiviste nous en fournit une preuve curieuse. Il lui est arrivé bien vite ce qui arriva à ce nihiliste, dont le profond Dostoïewsky nous rapporte l’histoire. Éclairé un jour par les lumières de la raison, il brisa les images des divinités et des saints qui ornaient l’autel d’une chapelle, éteignit les cierges, et, sans perdre un instant, remplaça les images détruites par les ouvrages de quelques philosophes athées, tels que Büchner et Moleschott, puis ralluma pieusement les cierges. L’objet de ses croyances religieuses s’était transformé, mais ses sentiments religieux, peut-on dire vraiment qu’ils avaient changé ?

On ne comprend bien, je le répète encore, certains événements historiques — et ce sont précisément les plus importants — que lorsqu’on s’est rendu compte de cette forme religieuse que finissent toujours par prendre les convictions des foules. Il y a des phénomènes so-