Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/134

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mène-t-il pas à lui, quand il fauche ; contrairement à ce que font les faucheurs de foin et les moissonneurs de blé, il la lance en avant.

Le char de l’Ankou (karrik ou karriguel ann An-


sa prière. S’il ne l’a déjà exaucée, c’est évidemment qu’il est trop vieux, qu’il a besoin d’être rajeuni. Durant ses longs agenouillements devant la mystérieuse image, Janik n’a pas été sans remarquer qu’elle a piètre mine. La poussière des temps s’est accumulée sur elle. Elle en est toute grise. Il faut lui rendre ses couleurs.

Janik fait atteler le char à bancs, part pour Lannion et en ramène un peintre.

L’après-midi des jours de semaine, les églises des bourgs bretons sont généralement désertes. Tout au plus si quelque vieille femme pieuse et désœuvrée y égrène son chapelet dans un coin. Encore est-elle plongée dans sa dévotion, l’oreille et l’âme fermées à tout ce qui n’est pas sa prière. Le peintre arrive, appuie son échelle au cintre intérieur du porche, rhabille Ervoanik d’un badigeon multicolore, et décampe, sans même avoir été vu. Janik se frotte les mains. Sa vengeance est désormais assurée. Pensez donc ! Un Ankou tout neuf !

Vient le dimanche. Il y a foule à la grand’messe. M. le recteur entame son prône. Quel vent de distraction a donc soufflé sur les fidèles ? Sans cesse ils retournent la tête, chuchotent entre eux ; il se passe certainement quelque chose d’insolite, au bas de l’église. M. le recteur regarde, et n’est pas moins surpris que ses paroissiens de constater que l’Ankou a fait peau neuve.

Conclusion : comme M. le recteur n’aime pas qu’on touche, sans son assentiment, aux statues de son église, fût-ce pour les restaurer ; comme, d’autre part, il n’a pas été sans découvrir le fin mot de l’histoire et qu’il ne veut pas encourager des desseins aussi peu évangéliques, ne pouvant atteindre Janik, il a du moins