Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/321

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leurs « cirés » étaient ruisselants. Chacun de ces matelots marchait courbé sous un faix de planches, de vieilles planches à demi pourries, qui dégouttaient pareillement, et tous les cinq disaient en cœur d’une voix sépulcrale :

— Il nous en manque !… Il nous en manque !…

Le fermier et ses gens prirent peur. Toutefois, son fils aîné, qui avait navigué à l’État, s’enhardit à demander :

— Qu’est-ce qui vous manque, les garçons ?

Mais il n’eût pas plus tôt parlé, qu’il tomba à la renverse, sans que personne l’eût touché, et des coups invisibles se mirent à pleuvoir dru comme grêle sur lui et sur ses compagnons. Ils se jetèrent tous la face contre terre, en hurlant de douleur et d’épouvante… Ce n’est que longtemps après que les coups eurent cessé, qu’ils se hasardèrent à se relever, pour s’enfuir. Ils virent alors que la mer battait son plein, et que les madriers flottaient déjà à quelque distance du rivage.

Quant aux cinq matelots, ils avaient disparu.

Mais on entendait leurs voix qui chantaient, en s’éloignant. Ce qu’ils chantaient et en quelle langue, on n’aurait su le dire, quoique le fils aîné du fermier prétendit que c’était de l’espagnol. »


(Conté par Françoise Thomas, dite Ann hini Rouz
(la Rousse). — Penvénan.)
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