Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/413

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— Sans vous ?

— Devant la grande mer, je fais ce serment. Rapportez-le à mon père. Je jure de ne retourner en Angleterre que lorsque la mort m’aura réunie à Jean Carré !

Ce soir même, l’amiral reprenait le large.

Mais le juif, lui, avait déserté.

À la trouble-nuit, comme les vaisseaux avaient déjà dépassé la ligne bleue de l’horizon, il faisait son entrée au manoir de Kerdéval où demeuraient ensemble la marraine de Jean Carré et sa veuve.

Il les trouva qui pleuraient enlacées.

— Faites excuse, dit-il dès le seuil, moi seul, je sais comment celui que vous pleurez a péri. J’ai vu l’amiral le jeter par-dessus bord.

Et il se prit à larmoyer, avec une désolation en apparence si vraie que sa douleur fit diversion à celle des deux femmes.

— Approchez-vous du feu ! dirent-elles.

Il raconta qu’il avait déserté, pour ne plus vivre sous les ordres d’un homme aussi criminel que l’amiral. Bref, il sut si bien se concilier les bonnes grâces de la marraine et de la veuve, qu’on le pria d’accepter l’hospitalité dans la maison. Croyez qu’il mit à profit son séjour. À force de parler de Jean Carré, sur un ton de douloureuse sympathie, il finit par s’insinuer dans le cœur de la pauvre princesse. Elle toléra la cour qu’il lui faisait, accepta de devenir sa femme. Non qu’elle eût oublie Jean Carré. Bien au contraire, elle pensait être fidèle à sa mémoire en lui donnant pour successeur un homme qui avait sans cesse son éloge à la bouche. La marraine elle-même