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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/110

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VIEILLES HISTOIRES DE PAYS BRETON

un génie souple qui se pliait aisément à la nécessité de combinaisons nouvelles. Il transforma Kercabin en un coupe-gorge. Le lieu s’y prêtait. Pas d’habitation dans le voisinage ; l’avenue, immense, solitaire avec des arbres aux frondaisons gigantesques qui y entretenaient une perpétuelle nuit, la route enfin toute proche et fréquentée à toute heure par les voyageurs qui de Lannion, de Bégard ou de Guingamp, se dirigeaient sur Pontrieux. Tous, désormais, durent payer péage au maître de Kercabin ou à ses associés. On leur prit la bourse toujours, et quelquefois la vie par-dessus le marché.

Le coup fait, c’étaient, à l’intérieur du manoir, de formidables soûleries. On y conviait — souvent de force — des filles d’alentour, les arrières-nièces de celles que les anciens sires de céans menaient le matin faire visite à la chambre dorée. Margéot présidait ces agapes, avec sa brutale jovialité de reitre. Lorsqu’un des compagnons roulait à terre, ivre-mort, il riait d’un énorme rire à faire trembler les poutres ; il était heureux ! Quant à lui, il buvait douze heures sans désemparer, et se levait de table, les jambes solides, la tête saine. Par exemple, il ne touchait jamais aux femmes. La tradition le dit expressément : ce barbare mourut vierge.


IV

Un soir, un des malandrins de la bande revint blessé, la figure en lambeaux, le corps lardé de coups de poi-