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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/121

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LA LÉGENDE DE MARGÉOT

médiaire qu’il déversait sur tout l’arrondissement de Guingamp, et même au delà, les mille objets de contrebande emmagasinés dans ses caves et dont la provision était sans renouvelée par de continuels arrivages.

Ce pirate de Margéot avait le génie de l’organisation. Deux mois lui avaient suffi pour créer et mettre en branle tous les rouages de cette singulière entreprise. Trois goélettes paimpolaises, affrétées par lui, sillonnaient pour son compte la Manche et même la mer du Nord. De temps en temps il en venait une mouiller dans les eaux du Trieux, à l’entrée de la rivière, jouxte l’Île Verte. Là, dans les ruines d’un ancien couvent, Pipi Luc attendait. Un canot abordait à l’île, y débarquait de lourds ballots. À la tombée de la nuit, Pipi Luc grimpait sur une roche et y allumait un feu de brande. Les douaniers de la côte disaient en se moquant : « Allons ! voilà l’ermite d’Enez Glaz[1] qui fait cuire ses patates en plein vent. » Pipi Luc n’était plus connu que sous ce nom. Il avait pris à tâche de le justifier, ne se montrant jamais que vêtu d’un froc de moine qu’un chapelet à gros grains serrait à la ceinture. Il avait là-dessous d’humbles airs confits, à tromper le Pape en personne. On eût difficilement trouvé une tête d’une niaiserie plus béate. Aussi commençait-on à lui faire dans le voisinage, à Lanmodez, à Pleubian, à Ploubazlanec, une réputation de sainteté. Vous pensez si Clerc Chevanton et lui s’en donnaient des gorges chaudes, à chacune de leurs rencontres. Or, dès que Clerc Chevanton voyait luire le feu de Pipi Luc, il accourait, dans une ces fines embarcations de Loguivy qui semblent raser l’eau comme des mouettes. Quatre gars robustes maniaient les avirons, car on voguait à la

  1. Île Verte.