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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/133

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LA LÉGENDE DE MARGÉOT

Margéot fit prouve d’un flogme imperturbable. Pas un instant, il ne se départit de son calme. Tel il s’était montré le jour de ce premier interrogatoire, tel il demeura jusqu’à la fin du procès, tel il fut à la cour d’assises. Mme Verry, l’opulente hôtesse de la Pomme d’Or, et les quelques buveurs qui étaient attablés chez elle le soîr du crime attestèrent que, à minuit sonnant, Margéot faisait son entrée dans l’estaminet. L’avocat de l’accusé ne prit même pas la peine de plaider.

— Messieurs les jurés, dit-il, on ne peut vous poser qu’une question. La plupart d’entre vous êtes des éleveurs. Pensez-vous qu’un cheval, si merveilleusement doué qu’on le suppose, puisse abattre de dix heures vingt à minuit les quinze lieues qui séparent Milin-Wern de Saint-Brieuc ?

Margéot fut acquitté haut la main.

Les habitants de Plouëc lui firent une ovation.

Mais à peine rentré à Kercabin, son premier soin fut de renvoyer tous son monde. Il ne garda près de lui que Nannik. L’entreprise qu’il avait montée s’émietta. Il vécut désormais inabordable, en proie à une mélancolie farouche.

Le jour anniversaire de la mort du jeune douanier, il trépassa. Il s’était fait préparer une tombe dans le jardin, avait prié le recteur de la bénir. On y coucha son cercueil immense, par une nuit de tempête et d’éclairs.

Kn même temps que Margéot, disparut Awellik.

On crut encore l’entrevoir quelquefois, bondissant au loin, la crinière au vent, hennissant une longue plainte d’âme en détresse.

… C’est lui dont on continue d’entendre le pas sonore dans la cour de Kercabin. Il vient sans doute y chercher son maître, son maître Margéot, mort de tristesse pour avoir tué le gabelou aux yeux noirs.