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bleau, et de la forêt, et de Chanteloup, et du logis de Jeanne, c’était même des travaux de Bernard qu’il était question. Elle l’interrogeait sur les choses qu’elle savait le toucher, s’en préoccupant autant que lui, attentive et souriante aux progrès d’esprit du jeune homme. Grâce à l’éducation qu’elle avait reçue, Jeanne était femme à s’intéresser aux choses sérieuses. Elle avait entendu remuer beaucoup d’idées, et, par culture autant que par nature, elle avait la vue haute et l’horreur des banalités. Peut-être, comme elle était spécialement attachée aux sujets qui occupaient Bernard, ne manquait-elle pas une occasion de se tenir au courant. D’ailleurs, elle comprenait d’un mot, et surtout n’avait pas l’ombre de prétention. Ce qu’elle disait était parfaitement simple, et pourtant Bernard en était pénétré. Était-ce à cause de l’accent qu’elle y mettait, du regard, du sourire ?… Mon Dieu ! quelle était charmante avec sa robe bleue, son teint rose et ses jolis cheveux blonds relevés à la Louis XV, ce qui la rajeunissait encore ! Comme elle faisait tout sans apprêt, sans pose ! Elle était aussi semblable à elle-même dans ce salon bruyant que dans le jardin de la Gerbière…

Bernard en était là de ses réflexions quand Frumand, qui avait enfin acheté son ananas, se rapprocha et salua Jeanne.

Au même instant, un coup de cloche retentit dans le jardin. Il y eut un silence général, puis on s’interrogea :

— Qu’est-ce que c’est ?… Qu’est-ce que c’est ?

Un mouvement se fit vers le milieu de la salle, et tout à coup on distingua la voix de Mlle Fulston :

— Mesdemoiselles, dit-elle en parlant très haut pour se faire entendre de partout, c’est une représentation destinée aux vendeuses. Elles sont priées de descendre au jardin.

— Très volontiers, s’écrièrent les jeunes filles.

— Nos mères tiendront les boutiques, ajouta Mlle Fulston.

Chacune se précipita vers la porte ; des groupes de jeunes filles serrées les unes contre les autres, passaient en riant. Mlle Fulston, restée en arrière pour veiller au départ, en bonne maîtresse de maison, se rapprocha du comptoir des poupées.

— Venez-vous, Jeanne ? demandèrent les compagnes de vente.

— Oui, oui, certainement, répondit Jeanne.

Mais elle ne bougea pas. Elle attendait sa mère qu’elle voyait venir à elle. Bernard lui en sut gré. Jeanne continua, sans affectation, de causer avec les jeunes gens.

Bernard parlait peu. Il écoutait, il regardait. Mais Frumand, jusque-là taciturne, se mettait en verve. On eût dit que la présence de Mlle d’Oyrelles lui était douce. Sa physionomie s’éclairait, ses yeux avaient leur belle profondeur veloutée, et Jeanne prenait