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quoique la conversation de la jeune personne nous ait indiqué qu’elle connaissait de nom « Théo et la jolie parfumeuse », c’était de trop, mais la faute était à M. Alfred, jeune homme du dix-neuvième siècle. Une toute petite bête était entrée en scène depuis peu. Ne serions-nous pas revenus au temps où l’enchanteur Merlin prenait la forme d’un oiseau ou d’une mouche et où un génie remplissait alternativement l’immensité sous forme d’un nuage, ou le calice d’une fleur, sous celle d’un imperceptible scarabée ! Car cette maison, encore heureuse en apparence, va être bouleversée de fond en comble. Et pourtant, elle n’a contre elle qu’une petite bête.

L’honnête homme deviendra un indélicat monomane, et jettera tout dans le gouffre creusé par « l’Ennemi », honneur, bonheur, sa fille, tout, tant et si bien, qu’il ne lui restera bientôt plus qu’à en mourir et comme dernière ressource, l’apoplexie, quand la douleur aura dépassé l’élasticité de son cerveau. Tout cela pour avoir trop aimé ou mal aimé ce que, jusqu’à cette bête de malheur, il était vertu d’aimer. Les premières pages du livre sont donc bien honnêtes ; voyons comment s’y est pris la bête pour ronger cette honnêteté jusqu’à l’âme. Elle avait d’abord paru très loin, dans un pays qu’on ne connaissait que par les journaux. On ne s’en inquiétait pas, elle ne pouvait venir à Marcayrac. L’incrédulité envers ce que l’on craint est une des plus vieilles embûches de Satan, et pourtant, toute vieille qu’elle est, elle lui sert encore souvent. « Elle ne viendra pas ici ! » Cette phrase a passé sur la France entière comme un nuage d’erreur et de mort. Malgré les preuves inexorablement successives de la folle vanité d’une barrière faite d’ignorance et d’orgueil, aujourd’hui encore, des naïfs et même des gens sages en apparence, espèrent éviter la ruine par l’attente sans défense ou par des moyens ayant obstinément échoué ailleurs. Bientôt l’ennemi est plus près, on peut aller le voir chez un voisin. Il est sur le coteau, mais il épargnera la plaine du Perdigoux ! Mais non, le voilà dans la place. On commence par jeter le peu d’argent disponible chez le pharmacien ; puis, devant l’insuccès du sulfure de carbone, des sulfo-carbonates, on submerge. Alors l’hypothèque pose sa lourde griffe sur le patrimoine ; chaque jour enlève un petit morceau d’honneur avec un fragment de l’avenir de l’enfant, un peu de la liberté du vieillard. On parle de ce qu’a dévoré cette pauvre Tarasque de Tarascon qui, si naïve et par charité pour les inondés, est venue l’année dernière, faire rire les Franchimans de sa carapace antique et si respectée « en Tarascon », qu’on lui avait trouée en route. Mais aussi, que venait faire une Tarasque en chemin de fer ? Tartarin, si sage au retour de ses campagnes, lui aurait certainement conseillé de laisser cette insti-