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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/146

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aperceptions, très élevées, même quand elles ne se rapportaient pas directement aux questions de sentiments, car une qualité supérieure, comme une montagne, ouvre beaucoup d’horizons.

— N’est-ce pas, reprit Frumand, qui, en causant, suivait une ligne, à l’inverse de M. de Cisay, qui volontiers se perdait en fioritures, n’est-ce pas que Bernard ne peut pas épouser une femme banale ?

— Sans doute. Je l’ai toujours dit. Ce serait fâcheux.

— Ce serait un crime d’abaisser son vol au niveau de la médiocrité. Ce que nous appelons dans le monde « une bonne enfant, une gentille petite femme », termes vagues qui cachent mal la vulgarité, ne peut suffire à Bernard. Il faut les laisser à ceux qui se marient « pour faire une fin ». Cela mettra un peu d’équilibre dans leur ménage !… Ne croyez-vous pas aussi qu’il est impossible à un homme d’échapper à la pression continue d’un caractère de femme ? Si on épouse une jeune fille commune, ou futile, ou sotte, on s’en détache peu à peu, mais on en subit l’influence. Les uns luttent longtemps, les autres cèdent tout de suite, personne ne revient de ces coups-là.

— Vous avez raison, mon cher ami. Je souhaite comme vous que Bernard fasse un choix digne de lui. Mais, hélas ! la vulgarité court le monde. Elle nous happe de cent façons.

— Vous voyez qu’il y échappe de lui-même en plaçant noblement ses rêves.

Le marquis regarda Frumand avec un intérêt qui n’était pas exempt de surprise :

— Mais, vous plaidez contre vous-même, car si vous jugez de la sorte Mlle d’Oyrelles, comment n’hésitez-vous pas à en faire le sacrifice ?

— Non, dit très simplement Frumand, le sacrifice n’est pas si grand qu’on pourrait croire… Il me semble que ma raison seule me poussait vers elle et que l’amour n’était pas encore né. Vous voyez qu’il n’y a pas de comparaison à faire entre moi et Bernard… vous voyez que je ne peux pas hésiter.

— Eh bien ! reprit M. de Cisay, il peut se vanter d’avoir en vous un fier ami… Quoi qu’il arrive, je vous félicite d’être capable de pareils sentiments

— Ma récompense serait de lui voir éviter le million ! s’écria gaiement le jeune homme.

Le marquis, au contraire, redevint sérieux.

— Ah ! le million ! c’est autre chose. Il faut de l’argent en ce monde, et beaucoup, hélas !

— Le croyez-vous, M. le marquis ?