Aller au contenu

Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Enfin le facteur remit une lettre de Mme Magnin, une grosse lettre, très épaisse. Le comte était encore dans sa chambre. Il venait de se lever. Il était seul. D’un geste sec, il brisa l’enveloppe et en fit sortir plusieurs feuilles de papier.

— C’est trop, pensa-t-il soudain.

Il eût voulu lire tout à la fois. Les signatures lui avaient sauté aux yeux et l’avaient alarmé. Pourtant il se modéra. L’une après l’autre, par deux fois différentes, il relut chacune des lettres. Puis il les déposa sur la table, à côté de lui, et resta dans son fauteuil, très songeur. Le comte de Cisay était surtout frappé de la coïncidence des deux refus.

— Comment ? se répétait-il, ils ne veulent ni l’un ni l’autre ? Ce n’est pas clair. Quand Mme d’Oyrelles nous a quittés, après sa visite à Chanteloup, elle paraissait fort bien disposée. J’avais eu soin de chauffer l’affaire. Elle est trop intelligente pour ne pas comprendre la valeur du parti qui se présentait.

Puis sa pensée revint vers Frumand :

— Il était ici hier. Je sais qu’il a causé avec mon père. Il a vu Bernard, et Bernard semble moins triste depuis cette conversation. C’est en rentrant à Paris que M. de Frumand a dû écrire à Mme Magnin. Rapprochant ces faits les uns des autres, le comte en conclut qu’ils avaient entre eux une corrélation. Mais laquelle ?

— Il y a là un point qui m’échappe.

Malgré tout, malgré ses regrets, il éprouvait une sorte de soulagement à ce que cette affaire ne se fût pas faite. Ce qui n’était pas trop desséché en lui, c’est-à-dire son affection pour son fils, se félicitait, peut-être inconsciemment, de ce que rien d’irréparable ne se fût encore accompli.

— Il est si étrange, Bernard, si inexplicable ! Je suis forcé de reconnaître en lui certaines aspirations que je ne lui ai certes pas données, mais qui sont vivaces. Il y a deux courants dans la famille, l’un sage et l’autre fou. S’il a pris du côté fou, tant pis pour lui, c’est irrémédiable. J’aurais beau faire, je ne le corrigerai pas… D’autant que je n’aime pas le voir souffrir, et que je redoute de lui faire de la peine, même pour son bien. Il n’y a rien de plus difficile à conduire que les caractères qui vous échappent.

Le comte médita longuement, sans se résoudre à rien. Il s’était cru sur de son chemin, et il était obligé de reconnaître qu’il s’était trompé de route. Ses orientations étaient mauvaises. Certaines ténèbres l’environnaient. Le trouble lui venait. Il ne voyait plus clairement ce qu’il fallait faire. Sa confiance en lui-même était ébranlée.

— Après ce singulier refus de Jeanne d’Oyrelles, comment m’y prendre pour décider Bernard à demander Mlle Fulston !