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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/542

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parente, mais encore votre meilleure amie. Oserais-je vous charger de savoir si j’aurais quelque chance d’être agréé par elle ? Vous vous demandez sans doute pourquoi je ne m’adresse pas tout simplement à votre père, qui est son tuteur. Cela serait plus naturel, en effet, mais je tiens à faire un mariage d’inclination ou à peu près. Je veux que la personne qui consentira à devenir ma femme se décide en dehors de toute pression étrangère. Je crains que, dans sa situation particulière, orpheline, sans fortune, désireuse sans doute de ne pas rester à la charge de ses parents, la pauvre enfant n’imagine devoir accepter le premier parti sortable qui se présentera. Je ne veux pas être uniquement cela pour elle et je ne ferai de démarche officielle qu’autant que je serai certain de lui inspirer quelque sympathie. Je n’oublie pas que je suis bien âgé pour elle : à peine si elle a dix-huit ans et moi j’en ai trente-quatre. Voilà pourquoi j’ose vous prier de vouloir bien découvrir ce qu’elle pense et s’il lui convient que je sollicite sa main…

Heureusement l’obscurité avait envahi le salon, et les croisées sans rideau qui ne laissaient plus que vaguement entrevoir les horizons du parc étaient baignées des teintes grises du crépuscule. Les bûches, après avoir pétillé joyeusement dans la haute cheminée, s’étaient rapidement consumées sous les cendres chaudes, les derniers tisons jetaient par intervalles avant d’expirer d’incertaines lueurs, et ces ténèbres, ce silence, qui nous environnaient et empêchaient Armand de s’apercevoir de mon émotion, donnaient en même temps quelque chose de plus solennel à cet intime entretien.

Il s’arrêta, attendant un mot d’encouragement de ma part. Je n’osais me fier à ma voix.

— Vous ne me répondez pas, dit-il en cherchant ma main. Est-ce que cette mission vous déplaît ?

— Elle me trouble un peu, répondis-je, sans trop savoir ce que je voulais dire.

— Pourquoi ? Vous avez assez de tact, assez de finesse pour approfondir la question sans la poser absolument, et si vous jugez bon de la poser, vous le ferez assez discrètement pour n’exercer aucune pression. Vous saurez démêler la vérité sans qu’on la formule et me transmettre dans toute sa justesse votre impression. C’est parce que je suis sûr de tout cela et aussi parce que j’ai une absolue confiance dans votre affectueux intérêt, dans votre amitié dévouée, que j’ai songé à m’adresser à vous.

— Je vous en remercie, Armand, mais c’est une grande responsabilité pour moi.

— Ce que vous ferez sera bien, ma chère Edwige. Mon bonheur est entre vos mains ; j’aime à l’y sentir. Il vous sera si aisé de savoir