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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/546

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Il me semble que ce n’est pas là ce que j’aurais rêvé. Je le connais si peu. Et puis je suis bien jeune, qu’est-ce qui presse ? J’aurais voulu voir venir.

— Voir venir quoi, ma chérie ?

— Je ne sais pas, mais autre chose, ne fût-ce que pour comparer et choisir.

— C’est ainsi que tu passeras à côté de ton bonheur. Qui sait si tu retrouveras jamais pareille occasion ?

— L’idée de rester vieille fille ne m’effraye pas. Quand tu aurais été mariée, je me serais volontiers consacrée à mon oncle, si bon pour moi.

— Sois sûre qu’il aime bien mieux te voir heureuse dans un intérieur à toi.

— Cela est vrai, je ne suis pas ici chez moi, et pourtant tant de bienveillance m’environne, que je ne m’y sens pas une étrangère.

— Il faut penser à l’avenir. Mon père est âgé, moi je me marierai un jour. Que deviendras-tu, seule au monde ? M. des Aubiers te déplaît-il ?

— Non, il m’est indifférent, voilà tout ; mais c’est peut-être toujours ainsi d’avance.

Elle me regardait, si naïve, si perplexe, que je me sentais troublée. J’avais envie de lui demander : « Préfères-tu quelqu’un ? » Je n’osai risquer cette question dangereuse. À quoi bon ? Je savais bien qu’elle pensait tout bas à Armand.

— Enfin, tu me conseilles ?…

— Oui, dis-je en détournant la tête.

Elle resta quinze jours à hésiter. Cependant la raison l’emporta. Ce qu’Armand avait prévu, ce qu’il avait voulu éviter, quant à lui, en ne faisant pas une demande positive : le sentiment qu’il serait sage d’accepter, la délicatesse qui faisait souhaiter à la petite orpheline de ne pas rester inutilement un objet de souci pour les siens, le désir naturel de s’affranchir d’une position dépendante, les conseils affectueux donnés par son tuteur, quelques mots de notre bon curé sur ce qu’il ne fallait pas rejeter à la légère un bienfait venant certainement d’en haut : ces considérations, ces influences diverses la décidèrent, et en pleurant un peu, sans trop savoir pourquoi, Marguerite prononça enfin le oui d’où dépendait ma propre destinée, mon repos tout au moins.


IV

J’étais assise dans l’embrasure de la croisée devant mon métier, travaillant à une broderie destinée à un ornement d’église. Mar-