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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/549

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— Choisi ! phrase de politesse sans doute, car ce n’est pas tout à fait cela. Je n’ai pas choisi ; j’ai accepté. Je pense cependant qu’il valait mieux ne pas le lui expliquer. Mais n’as-tu pas remarqué, chère, comme il avait l’air singulier ?

— Non, un ton de circonstance un peu plus cérémonieux que de coutume, voilà tout.


V

Marguerite était mariée, et désormais il me semblait que mon repos dépendait absolument de son bonheur. Si elle se montrait satisfaite de son sort, ma conscience troublée pourrait peut-être se calmer ; sinon, je le sentais bien, pas de trêve à mes remords. Il n’y avait pas une ombre dans ses yeux, pas une pâleur à son front, pas une hésitation dans son sourire, qui ne me fit ressentir une secrète angoisse. Le château de M. des Aubiers était situé non loin de nous. Condamnée à la voir souvent, je souffrais de l’état constant d’observation auquel j’étais condamnée, de l’anxieuse sollicitude avec laquelle je ne pouvais me défendre de l’étudier.

— Que tu es bonne et gentille ! me disait-elle en réponse à mes questions ; quel intérêt tu prends à moi ! Tu me ferais l’effet d’une mère si tu n’étais pas si jeune. Comment puis-je te montrer jamais assez de reconnaissance !

De la reconnaissance, elle aussi, comme Armand. Ah ! qu’ils me faisaient mal tous deux !

Lui, heureusement, était parti pour un long voyage le lendemain même du mariage auquel il avait tenu à assister. À moi seule, qui savais son secret, il avait appartenu d’admirer la fermeté de son âme. Il avait trouvé dans son cœur des paroles affectueuses pour l’un et l’autre ; il avait su forcer ses lèvres à sourire de ce sourire profond qui n’était qu’à lui ; et, dans l’église, avec quelle ardeur je l’avais vu prier ! Maintenant, il était parti pour longtemps avec sa douleur au fond du cœur. Qu’allait-il faire ?

— Es-tu heureuse, Marguerite ? demandais-je souvent à Mme des Aubiers.

— Mon Dieu, oui, je pense ; à vrai dire, je n’en sais trop rien. Je cherche quelquefois à me rendre compte de ce que c’est au fond que le bonheur. Comment le comprends-tu, toi ?

Je me gardais bien de le lui expliquer. Un jour, elle était grosse, elle venait de sentir le premier tressaillement de son enfant :

— Maintenant, je le sais, dit-elle, je suis heureuse.

Tout bas je pensais qu’elle se trompait et qu’il ne peut y avoir