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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

Elle essaya d’oublier la tempête noire, évoqua les tempêtes blanches dont elle avait l’habitude, dans un passé tout proche encore.

Le grand pays du Nord se dressa devant elle, étincelant, formidable et magique. La terre craqua sous les pas d’un grand fauve. L’un était fait pour l’autre.

Elle entendit le vent qui accourait du fond d’espaces inconcevables, ivre de sa propre vitesse, houleux, chargé de neige, et où le visage humain s’enfonçait comme une proue de navire dans les écumes. Les flocons fondirent sur ses lèvres et au bord de ses cils. Elle revit l’horizon enflammé, gonflé de feux rouges, où la ville nocturne faisait entendre son grondement de forge en travail.

Une fois de plus, elle fut plongée dans le délire de la tempête, l’âme à l’unisson, soulevée de fureur et de violences, le corps devenu de métal.

Ou bien ce fut l’enchantement des matins d’hiver exquis et transparents, la forêt retenant son souffle pour ne pas fêler le cristal de ses branches. Ce fut la paix des soirs, les ombres veloutées qui se projettent sur la neige bleuâtre. Le monde entier avait un visage fragile et poudré. Aux bornes du ciel et de la terre, le fleuve géant reposait, immobile, dans sa cotte de mailles, une épée de lune à ses côtés.