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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

gardé à une extrémité par la peur des mots qu’on va dire ; à l’autre par celle des mots qu’on fera dire. Un silence est au commencement d’un amour, un silence est à sa fin : l’un et l’autre sont suivis de paroles définitives.

Chez Grand-Louis, le silence n’était ni une tactique, ni une arme, ni un refuge, ni une défense. Il était un moyen d’expression. Ne pouvant se faire comprendre par les mots, il les rejetait comme inutiles, il n’en gardait que la pauvre substance, il s’appliquait à tenir en dedans le troupeau de ses pensées, au lieu de le laisser franchir en désordre la barrière de ses lèvres.

Un jour, Ève l’aperçut près d’une fontaine, non loin d’une petite chapelle où elle entrait parfois au cours de ses promenades pour respirer l’atmosphère de paix ancienne et de foi naïve que des générations de marins venus là en pèlerinage solitaire y avaient créée. Elle ne l’avait pas vu tout d’abord. Il était assis sur la margelle, sa vareuse décolorée par le temps se confondant avec le granit bleuté de la fontaine auquel s’appuyaient ses grandes épaules. Il tenait une longue gaule entre ses mains pendantes et croisées, mais il ne faisait pas un mouvement… …Quels rêves légers avait-il menés devant lui, du bout de