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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

quable du front. Il suivait l’adresse avec son doigt, qu’il arrêta sous ce mot : « Ève », qu’il prononçait pour la première fois, d’une manière un peu incertaine, et qu’il répétait, comme enchanté de sa trouvaille : « Ève… Ève »…

Troublée, elle voulut lui faire lire toute l’enveloppe. Mais il n’allait pas plus loin, se butait à ce nom, Ève, sur lequel il appuyait le doigt.

Elle en conclut qu’il avait dû savoir lire. Dans le cataclysme où son cerveau avait sombré, cela comme le reste avait disparu.

Le soir même, elle traça en gros caractères les lettres de l’alphabet, le fit asseoir à ses côtés, et la leçon commença. Il se fatigua vite, embrouilla les lettres, et finit par laisser aller son front sur la table. La journée avait été rude : il s’endormit, comme il le faisait souvent pendant la veillée, allongé par terre, aux pieds d’Ève, la défendant contre les ombres. Il possédait le don de s’endormir et de se réveiller sans effort. Il n’y avait point pour lui de barrière entre l’état de sommeil et de veille. Endormi, il gardait sur les lèvres le sourire qu’il avait tout à l’heure en parlant ; réveillé, ses traits conservaient leur expression un peu léthargique. Ils rappelaient ceux d’un aveugle, qui reçoivent leur lumière du dedans.