Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/78

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nettes blanches, des corsages violets, des pantalons de berlinge brun, des vestes bleues soutachées de vert et des jupes noires lisérées d’orange, quand le sacristain de la localité passa devant moi avec un panier rempli de petits pains. Machinalement je le suivis des yeux et le vis qui entrait dans une maison voisine, se signait, remettait un de ses pains, empochait quelque monnaie et recommençait le même manège un peu plus loin. Les sacristains de Bretagne exercent généralement un métier auxiliaire, et il se pouvait à la rigueur que celui-ci fût boulanger ou fournier en même temps que sacristain. Mais, d’autre part, il n’est point d’usage qu’on distribue le pain dans l’après-midi et moins encore qu’on se signe en le distribuant. Et enfin il ne s’agissait point céans de tourtes ni de miches, mais de ces manières d’échaudés qu’on appelle en Bretagne des pains mollets. Intrigué, je me faufilai à travers les groupes et, comme l’étrange colporteur entrait avec le restant de sa fournée dans un débit de la place, j’arrivai assez tôt pour l’entendre qui, après avoir esquissé un signe de croix, demandait en breton :

— Désirez-vous un pain des âmes ?

— Oui, s’il plaît à Dieu, répondit l’hôtesse qui se signa elle aussi en prenant le pain, tendit une pièce d’argent au sacristain, enveloppa son achat dans une fine serviette de toile blanche et l’alla serrer incontinent dans un tiroir du vaisselier.

Le bara an anaon, le pain des âmes !…

Je tenais la clef du mystère. On est encore persuadé, en Bretagne, qu’à certains jours de l’année les défunts quittent leur sépulture et réintègrent les maisons qu’ils habitaient de leur vivant. Sur la table de famille, dans certaines paroisses des Montagnes-Noires, on dispose à leur inten-