Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/80

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siblement et a fini par dégénérer en une façon de parodie, elle a gardé, à Plougastel, toute sa gravité initiale : telles les trois soupes que Du Guesclin avait coutume de manger avant la bataille en l’honneur de la Trinité. Mme Maléjac, dans le débit de laquelle j’étais entré à la suite du sacristain, m’expliqua fort aimablement que c’est la fabrique de l’église paroissiale qui commande aux boulangers le bara an anaon[1]. Autant de ménages, autant de pains mollets. Prix minimum de l’échaudé mortuaire : deux « blancs » (10 centimes) ; mais la générosité de l’acheteur peut pousser jusqu’à l’écu et même au-delà. Ce ne sont point les « âmes » qui s’en plaindront, puisque le produit de la collecte sera remis au clergé qui le convertira en services et en oraisons pour le repos des trépassés. Le soir venu, cependant, à la table de famille, après les « prières des défunts », le pain des âmes, tiré de sa blanche enveloppe, est partagé entre les assistants. Chacun se signe avant de manger son morceau. Et voici le plus touchant peut-être, car il est rare que, dans ce pays amphibie, où les cultivateurs eux-mêmes font leur service dans la Flotte et figurent sur les contrôles de l’Inscription maritime, la table de famille soit au complet : la part des absents est réservée et précieusement mise de côté dans l’armoire où l’inquiétude des mères ne tardera pas à la consulter.

— Ces morceaux de pain sont donc sorciers ? demandai-je avec étonnement.

  1. Le bara an anaon n’est, d’ailleurs, porté de seuil en seuil et n’a la forme de petits pains que dans la section de Plougastel-bourg ; une maison particulière de la breuriez, maison qui change chaque année suivant un roulement établi, en reçoit le dépôt dans les autres sections. De plus, le pain y prend la forme de kouigns ou tourtes, dont les morceaux sont répartis sur place entre les membres de la breuriez.