Page:Le Grand Albert - La Vie des Saints.djvu/205

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en ce temps-là faisoit une bonne somme), lequel il distribuoit entierément aux pauvres. Quand il estoit Official de l’Archidiacre de Rennes, il entretenoit, à ses propres frais, deux ecolliers aux études, l’un nommé Derien, & l’autre Olivier ; &, à Pasques, la Pentecoste, la Toussaints, Noël & : autres Festes solemnelles, il lea faisoit disner à sa table, avec grand nombre d’autres pauvres. Dans sa maison Prebendale à Land-Treguer, & en ses Presbytaires de Tre-trez & Lohanech, quand il y estoit, il logeoit les pauvres ; &, dans son Manoir de Ker-Martin, il bastit un Hôpital ; en tous lesquels lieux ils recueilloit les pauvres, non seulement ceux qui y venoient ou qu’il rencontroit dans son chemin ; mais même il les alloit chercher & les emmenoit chez luy, leur donnoit l’eau à laver, les servoit à table & graissoit leurs soulliers. Il donnoit à plains boisseaux son bled aux pauvres, tant du revenu de son patrimoine que de son Benefice ; il leur donnoit mesme jusques au pain disposé & apresté pour sa propre refection ; &, se trouvant, une fois, prié d’un pauvre sans le pouvoir soûlager, il mist son chapperon ou cuculle en gage pour du pain, qu’il print en une maison prochaine, lequel il bailla incontinent à ce pauvre.

X. Il nourrissoit beaucoup de pauvres enfans orphelins ; instruisoit les uns en sa maison, mettoit les autres en pension chez des Maistres ouvriers pour apprendre mestier, lesquels il salarisoit de son propre argent. Il ne pouvoit endurer de voir lea pauvres nuds ; un jour estant allé (selon sa coustume) visiter les pauvres à l’Hospital de Land-Treguer, voyant plusieurs pauvres fort mal vétus, il leur bailla la pluspart de ses habits. de sorte qu’il luy fallut s’envelopper dans un loudier, attandant qu’on luy en eust apporté d’autres. Une autre fois, il fit la même chose ; &, comme un jour son cousturier luy fut venu vestir une robbe & capuchon gris, il apperceut en la court un pauvre à demy nud ; il ne le peut endurer ; mais, retenant ses vieux habits, luy donna cét accoustrement neuf. Allant une fois à l’Eglise, disant son Breviaire, un pauvre, luy demanda l’aumône, n’ayant que luy donner, tira son capuchon & le luy donna. Il visitoit souvent les malades, nommément les pauvres & nécessiteux, les consoloit & assistoit, il leur administroit les Sacremens, les y disposant avec grand soin & charité. Il ensevelissoit de ses propres mains les corps des pauvres qui decédoient tant en l’Hôpital que chez luy & és maisons particulieres, les enveloppant en des suaires blancs siens, les portoit à la sepulture, aidé de quelques autres pieuses personnes.

XI. Dieu fit paroistre, par plusieurs miracles, combien luy estoit agreable la charité dont S. Yves assistoit ses membres. Nous avons dit cy-dessus, que, trouvant un jour un pauvre en son chemin, n’ayant que luy donner, il luy donna son chapperon, mais Dieu le luy remist sur la teste, avant qu’il fust arrivé en l’Eglise où il alloit. Une autre fois, ayant trouvé à sa porte Jesus-Christ, en forme d’un pauvre homme tout poury de lepre, il le fit monter en sa chambre, luy bailla à laver, le fit seoir à table & luy servit bien à disner, puis s’asseoit auprès de luy pour disner aussi ; mais, sur le milieu du disner, ce pauvre parut si resplendissant, que toute la chambre en fut claire, regardant fixement S. Yves, il luy dist : « Dieu soit avec vous ! » & disparut, laissant le Saint comblé de joye & consolation Spirituelle. Pendant une grande cherté qui avint par tout le Païs, pour huit sols de pain, il substanta plus de deux cens pauvres, le pain se multipliant miraculeusement entre ses mains ; &, une autre fois, pour deux deniers de pain, il rassasia vingt-quatre pauvres. Quand les Religieux mendians venoient vers luy, il les logeoit & traittoit avec grande charité & respect, & avoit fait dresser une chambre tout exprés pour les recevoir, garnie de tout ce qui y estoit besoin, oh luy meme les traittoit ; souffloit & attisoit le feu pour les chauffer ; leur versoit l’eau sur leurs mains & les servoit à table en grande humilité. Un pauvre estant arrivé tard à Ker-Martin & n’osant fraper à la porte se coucha auprés & y passa la nuit ; saint Yves, sortant de