Page:Le Grand Meaulnes.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que nos affaires ne regardaient pas. Il y avait Delouche, Denis, Giraudat et tous les autres. Nous reconnûmes dans la lutte leur façon de se battre et leurs voix entrecoupées. Mais un point demeurait inquiétant et semblait presque effrayer Meaulnes : il y avait là quelqu’un que nous ne connaissions pas et qui paraissait être le chef…

Il ne touchait pas Meaulnes : il regardait manœuvrer ses soldats qui avaient fort à faire et qui, traînés dans la neige, déguenillés du haut en bas, s’acharnaient contre le grand gars essoufflé. Deux d’entre eux s’étaient occupés de moi, m’avaient immobilisé avec peine, car je me débattais comme un diable. J’étais par terre, les genoux pliés, assis sur les talons ; on me tenait les bras joints par derrière, et je regardais la scène avec une intense curiosité mêlée d’effroi.

Meaulnes s’était débarrassé de quatre garçons du Cours qu’il avait dégrafés de sa blouse en tournant vivement sur lui-même et en les jetant à toute volée dans la neige… Bien droit sur ses deux jambes, le personnage inconnu suivait avec intérêt, mais très calme, la bataille, répétant de temps à autre d’une voix nette :

— Allez… Courage… Revenez-y… Go on, my boys

C’était évidemment lui qui commandait… D’où venait-il ? Où et comment les avait-il entraînés à la bataille ? Voilà qui restait un mystère pour nous. Il avait, comme les autres, le visage enve-