Page:Le Grand Meaulnes.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Alors la crainte et je ne sais quel obscur regret de venir troubler tant de paix commencèrent à m’enlever tout courage. À point pour aggraver ma soudaine faiblesse, je me rappelai que la tante Moinel habitait là, sur une petite place de La Ferté-d’Angillon.

C’était une de mes grand’tantes. Tous ses enfants étaient morts et j’avais bien connu Ernest, le dernier de tous, un grand garçon qui allait être instituteur. Mon grand-oncle Moinel, le vieux greffier, l’avait suivi de près. Et ma tante était restée toute seule dans sa bizarre petite maison où les tapis étaient faits d’échantillons cousus, les tables couvertes de coqs, de poules et de chats en papier — mais où les murs étaient tapissés de vieux diplômes, de portraits de défunts, de médaillons en boucles de cheveux morts.

Avec tant de regrets et de deuil, elle était la bizarrerie et la bonne humeur mêmes. Lorsque j’eus découvert la petite place où se tenait sa maison, je l’appelai bien fort par la porte entr’ouverte, et je l’entendis tout au bout des trois pièces en enfilade pousser un petit cri suraigu :

— Eh là ! Mon Dieu !

Elle renversa son café dans le feu — à cette heure-là comment pouvait-elle faire du café ? — et elle apparut… Très cambrée en arrière, elle portait une sorte de chapeau-capote-capeline sur le faîte de la tête, tout en haut de son front immense et cabossé où il y avait de la femme