Page:Le Grand Meaulnes.djvu/293

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nières, elle s’assit sur le banc moussu et vert-de-grisé, du côté le moins mouillé, tandis que debout, appuyé du genou à ce même banc, je me penchais vers elle pour l’entendre.

Elle me gronda d’abord amicalement pour avoir ainsi écourté mes vacances :

— Il fallait bien, répondis-je, que je vinsse au plus tôt pour vous tenir compagnie.

— Il est vrai, dit-elle presque tout bas avec un soupir, je suis seule encore. Augustin n’est pas revenu…

Prenant ce soupir pour un regret, un reproche étouffé, je commençais à dire lentement :

— Tant de folies dans une si noble tête ! Peut-être le goût des aventures plus fort que tout…

Mais la jeune femme m’interrompit. Et ce fut en ce lieu, ce soir-là, que pour la première et la dernière fois, elle me parla de Meaulnes.

— Ne parlez pas ainsi, dit-elle doucement, François Seurel, mon ami. Il n’y a que nous — il n’y a que moi de coupable. Songez à ce que nous avons fait…

» Nous lui avons dit : voici le bonheur, voici ce que tu as cherché pendant toute ta jeunesse, voici la jeune fille qui était à la fin de tous tes rêves !

» Comment celui que nous poussions ainsi par les épaules n’aurait-il pas été saisi d’hésitation, puis de crainte, puis d’épouvante, et n’aurait-il pas cédé à la tentation de s’enfuir !