Page:Le Grand Meaulnes.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

toutes les injures, toutes les ordures qu’il sait. L’agent est furieux, pâle, muet… Dès le couloir il commence à cogner, puis il referme sur eux la porte pour battre le misérable tout à l’aise… Il me vient cette pensée affreuse que j’ai renoncé au paradis et que je suis en train de piétiner aux portes de l’enfer.

De guerre lasse, je quitte l’endroit et je gagne cette rue étroite et basse, entre la Seine et Notre-Dame, où je connais à peu près la place de leur maison. Tout seul, je vais et viens. De temps à autre une bonne ou une ménagère sort sous la petite pluie pour faire avant la nuit ses emplettes… Il n’y a rien, ici, pour moi, et je m’en vais… Je repasse, dans la pluie claire qui retarde la nuit, sur la place où nous devions nous attendre. Il y a plus de monde que tout à l’heure — une foule noire…


Suppositions — Désespoir — Fatigue — Je me raccroche à cette pensée : demain. Demain, à la même heure, en ce même endroit, je reviendrai l’attendre. Et j’ai grand’hâte que demain soit arrivé. Avec ennui j’imagine la soirée d’aujourd’hui, puis la matinée du lendemain, que je vais passer dans le désœuvrement… Mais déjà cette journée n’est-elle pas presque finie ?… Rentré chez moi, près du feu, j’entends crier les journaux du soir. Sans doute, de sa maison perdue quelque part dans la ville, auprès de Notre-Dame, elle les entend aussi.