Page:Le Grand Meaulnes.djvu/94

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On parlait peu, d’ailleurs. Ces gens semblaient à peine se connaître. Ils devaient venir, les uns, du fond de la campagne, les autres, de villes lointaines. Il y avait, épars le long des tables, quelques vieillards avec des favoris, et d’autres complètement rasés qui pouvaient être d’anciens marins. Près d’eux dînaient d’autres vieux qui leur ressemblaient : même face tannée, mêmes yeux vifs sous des sourcils en broussaille, mêmes cravates étroites comme des cordons de souliers… Mais il était aisé de voir que ceux-ci n’avaient jamais navigué plus loin que le bout du canton ; et s’ils avaient tangué, roulé plus de mille fois sous les averses et dans le vent, c’était pour ce dur voyage sans péril qui consiste à creuser le sillon jusqu’au bout de son champ et à retourner ensuite la charrue… On voyait peu de femmes ; quelques vieilles paysannes avec de rondes figures ridées comme des pommes, sous des bonnets tuyautés.

Il n’y avait pas un seul de ces convives avec qui Meaulnes ne se sentît à l’aise et en confiance. Il expliquait ainsi plus tard cette impression : quand on a, disait-il, commis quelque lourde faute impardonnable, on songe parfois, au milieu d’une grande amertume : « Il y a pourtant par le monde des gens qui me pardonneraient ». On imagine de vieilles gens, des grands-parents pleins d’indulgence, qui sont persuadés à l’avance que tout ce que vous faites est bien fait. Certainement parmi ces bonnes gens-là les convives