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C’est, d’ailleurs, de ce terme, peu attirant au premier abord, qu’est né le substantif gâterie, résumant les soins délicats, les attentions touchantes dont la femme, avant tous autres, se montre coutumière. Combler quelqu’un de prévenances, de bontés, ne semble donc point répréhensible, et si l’on n’encourt aucun blâme en traitant ainsi de simples alliés et même des étrangers, on sera exempt de tout reproche chaque fois que cette louable habitude bénéficiera à une descendance directe. Il est, dès lors, incontestablement permis de conclure qu’il faut gâter ses enfants.

D’ordinaire, point n’est besoin de contrainte pour obtenir l’exécution de cette obligation, de ce devoir imposé par une loi naturelle, facile en son accomplissement. Tout au contraire, il y a lieu, dans bien des cas, de modérer l’élan et d’empêcher des excès avoisinant l’aveuglement. Au surplus, un cœur de pierre seul serait capable de contempler, sans émotion, le bébé rose, enseveli sous les riches dentelles ou enveloppé de modestes lainages, dormant en son berceau dont, à son réveil, il agite, souriant, les longs rideaux rasant le sol. Aussi, le chérubin qui esquisse ses premiers pas, saisi de crainte, à chaque mouvement, à chaque effort vers les bras tendus, s’inclinant, s’abaissant jusqu’à lui ; la mignonne tête blonde qui s’évertue à articuler les doux noms de papa, de maman, dont il fera, par la suite, un si fréquent usage, n’attendent jamais les baisers laissant leur empreinte sur leurs chairs à peine formées, les chaudes et innocentes étreintes, les transports de ce pur et profond amour que Dieu mit en l’âme de quiconque le seconde dans son œuvre. À cet égard, pourtant, on doit l’avouer, le mérite n’est pas immense. Ces frêles roseaux naissant à peine, complètement privés de la possibilité d’exister par eux-mêmes, ont besoin de tant de secours, demandent à être entourés d’une si vive sollicitude, qu’il y aurait cruauté manifeste à leur refuser l’appui qu’ils implorent sans cesse, et dont les caresses leur semblent la véritable expression.

Le chantre sublime de l’enfance, celui dont l’univers entier récemment célébrait le centenaire, en a dit tous les charmes :

Il est si beau, l’enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés ;
Laissant errer sa vue, étonnée et ravie,
Offrant, de toutes parts, sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers.

Mais, loin de se limiter aux premières années, l’extrême bienveillance des parents pour leur progéniture, est tenue de se soutenir, de s’affirmer en proportion du cas que peuvent en faire ceux qui en recueillent le bénéfice. Sitôt que se montre la raison, que se dessine le jugement, l’enfant doit se sentir enveloppé d’une bienfaisante atmosphère le soumettant à aimer sa maison par dessus tout, à la considérer comme un paradis qu’il ne voudrait jamais abandonner. Les souvenirs qu’il retiendra de son séjour sous le toit paternel, pour être durables autant que profitables, ont besoin de ne lui rappeler que des moments faits de ce bonheur qu’uniquement procure la vie de famille entre un père et une mère qui l’auront passionnément aimé.

J. Germano.
(À suivre)



Lettre d’Ottawa

1er mai 1902.
Chère Françoise,


LA session touche déjà à sa fin et nous ne vous avons pas même entrevue à Ottawa. Ce serait de la noire ingratitude de votre part, si vous n’aviez une excuse : ce nouveau-né qui réclame tous vos instants et dont les spécimens sont ici entre toutes les mains. Vous avez séduit la députation, que dis-je, le gouvernement même. J’entrais l’autre jour chez un de nos ministres les plus anglo-saxons, et j’aperçus sur son bureau la couverture vert-nil du Journal de Françoise, dissimulé sous un monceau de lettres aux en-têtes officielles. J’exposai d’abord l’objet de ma visite, une faveur pour un ami, et comme mon haut interlocuteur me paraissait en veine de bavardage, je lui demandai s’il était abonné. Il me répondit affirmativement. « Mais, remarquai-je, je ne vous ai jamais entendu parler français ? »

— Qu’à cela ne tienne, me dit-il en anglais, vous allez voir. J’attends justement mon ami le Dr Russell, député de Hants, et vous jugerez. Il est le plus fort élève de notre classe de français. Tenez, le voici.

Effectivement, M. Russell, le plus aimable des hommes, ma chère, soit dit par parenthèse, pénétrait justement à ce moment dans le sanctuaire ministériel. Il s’avança vers son ami et lui dit, en lui tendant la main :

— Bonjour — monsieur ; — il — fait — beau — temps — aujourd’hui.

Et le ministre de répondre, avec un sérieux imperturbable, la phrase suivante du manuel :

— Monsieur — vous — avez — un — accent — excellent.

L’expérience était concluante : j’ai chaudement félicité ces deux messieurs de leur magnifique effort. J’étais si contente de leur voir ainsi parler le français que, si je ne m’étais retenue, je les aurais embrassés tous deux… pour l’amour du français. Mais c’est défendu dans les lambris parlementaires. Du moins on le dit, et il faut le croire en dépit des potins qu’on fait circuler.

Vous ne sauriez croire à quel point l’atmosphère du Parlement d’Ottawa constitue un bouillon de culture efficace pour la génération rapide de petites histoires à raconter sous l’éventail. Ne croyez pas que je vais vous les répéter ; j’aurais trop peur de faire rougir les feuillets vierges sur lesquels j’écris ces lignes. Et puis, elles sont presque toutes, sinon fausses, du moins tellement enjolivées, que la vérité y est réduite à l’état de portion infinitésimale.

Pourtant, je viens d’en entendre une, une bien bonne, comme disent ces messieurs. On me l’a racontée au bal de l’Hôtel Russell qui a eu lieu hier soir même et dont les flonflons bourdonnent encore à mes oreilles. Vous savez ce qu’est cette fête à laquelle sont invités, tous les ans, les pensionnaires de l’Hôtellerie St-Jacques. De même qu’au progressive euchre, il y a un prix de consolation pour les joueurs malheureux, de même à Ottawa il y a une soirée de consolation pour ceux qui n’ont pas pu se faire inviter aux réceptions de la session : c’est le Bal du Russell. Il suffit d’inscrire son

(À suivre)