Page:Le Livre d’or de Sainte-Beuve, 1904.djvu/141

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conséquemment pour la plus belle du monde connu, il n’admettait pas qu’on en altérât la pureté en y glissant des néologismes, de l’argot ni de ces ridicules emprunts à nos voisins d’outre-mer que les cercles appellent le modern-style. Le seul aspect de ces nouveautés le mettait hors des gonds et, s’il avait à faire l’analyse d’un livre où il s’en trouvait, il s’emportait jusqu’à morigéner l’auteur sans mesure. On pourrait même dire qu’il le passait à tabac. « Le respect absolu de la langue de Pascal, de Bossuet et de Molière, voilà ma religion, » disait-il. Ce Credo, qui en vaut bien un autre, se retrouve très nettement exprimé dans tout ce qui est sorti de sa plume.

Après que M. Thiers eut quitté le National pour passer à l’état d’apprenti ministre, Armand Carrel devint rédacteur en chef de ce journal. Grand ami de ceux qui cultivaient les lettres, il appela à lui ceux des jeunes écrivains du jour, qui, en professant des idées libérales, montraient le plus d’aptitude pour parler un beau langage à la foule. Ce fut alors qu’on vit se grouper autour de lui trois jeunes gens qui, par la suite, devaient aller à de brillantes destinées. Ce n’étaient alors que des débutants. Sainte-Beuve en était le plus renommé, par suite de sa récente collaboration au Globe et à cause de Joseph Delorme. Désiré Nisard, celui des trois qui était le plus familier dans la maison, avait bien l’air de ne considérer son passage à la feuille républicaine que comme un stage, et c’est, en effet, ce qui a eu lieu. On sait qu’il devait prochainement aller ailleurs et s’avancer peu à peu dans les fonctions publiques. Le plus modeste était Émile Littré. Sans contester le mérite des deux autres, on peut dire que ce troisième a été le plus studieux et aussi le plus détaché des liens officiels.

Il y a déjà bien longtemps, on a publié une lettre d’Armand Carrel à la mère d’Émile Littré. Rien de plus simple, rien de plus poussé, aussi, au ton de la véritable grandeur. En s’adressant à