Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/135

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il courait, écumant, vers le nord, comme inspiré par l’audace d’une haute entreprise…

Le poste d’équipage n’était qu’humide désolation. Les matelots contemplèrent atterrés leur gîte. Gluant, dégouttant, il sonnait creux au vent et des épaves sans forme en jonchaient le sol comme d’une caverne ouverte à marée basse dans un flanc de falaise battue par les gros temps. Beaucoup avaient perdu tout ce qu’ils possédaient au monde, mais la plupart des tribordais avaient sauvé leurs coffres malgré qu’il en dégoulinât de minces filets d’eau. Les lits étaient détrempés ; les couvertures dépliées et retenues par quelque clou avaient été foulées aux pieds. Ils retirèrent des loques mouillées de coins malodorants et une fois tordues reconnurent leurs hardes. Quelques-uns sourirent, sans joie. D’autres hébétés et muets promenaient autour d’eux leurs regards. Il y eut des cris de joie sur de vieux gilets et des gémissements de douleur pleurèrent d’amorphes débris repêchés parmi les esquilles noires de châlits fracassés. On découvrit une lampe coincée sous le beaupré. Charley pleurnichait un peu. Knowles traînait son pied bancal de-ci de-là, reniflant et fourrageant dans des recoins obscurs en quête d’épaves oubliées. Il vida d’eau sale une botte et se mit en devoir d’en retrouver le titulaire. Accablés par leurs pertes, les plus éprouvés restaient assis sur le panneau d’avant, les coudes sur les genoux et, un poing à chaque joue, dédaignant de lever les yeux. Le boiteux poussa sous leurs nez sa trouvaille.

— Une botte. Elle est bonne. C’est à toi ?

Ils grondèrent.

— Non, f… le camp.

L’un jeta :

— Porte-la au diable.

Il parut surpris.