Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/154

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des bestiaux. Un troupeau qu’on mène. Je te soutiens… Pourquoi pas ? T’as des sous ?

— Peut-être bien. J’ai rien à dire pour ça.

— Alors, fais-y voir. Qu’ils apprennent ce qu’un homme peut faire. Je suis un homme et je connais ton truc.

Jimmy se rejeta plus loin sur l’oreiller ; l’autre tendit son cou maigre, baissa son visage d’oiseau vers le nègre, comme s’il visait ses yeux d’un bec imaginaire.

— Je suis un homme. J’ai compté les clous de toutes les portes de prison des colonies, plutôt que de céder sur nos droits.

— T’es un pilier de bagne, dit Jimmy faiblement.

— Et je m’en vante. Toi, t’avais pas assez de nerf, alors tu as monté ce bateau-là.

Il s’arrêta, puis, soulignant son arrière-pensée, accentua lentement :

— T’es pas malade. Voyons ?

— Non, dit Jimmy avec fermeté.

Sa voix tomba tout à coup, comme il ajoutait dans un murmure :

— Un peu mal en train, comme ça, par moments, cette année.

Donkin ferma un œil, grimace amicale et complice. Il chuchota :

— C’est pas la première fois que tu tires au flanc, pas vrai ?

Jimmy sourit, puis, comme incapable de se contraindre, laissa échapper :

— A mon dernier bord, oui. Ça n’allait pas pendant la traversée. Tu comprends ? C’était facile. Ils m’ont payé à Calcutta et le patron n’a pas fait de chichi. J’ai eu mon compte. Cinquante-huit jours couché. Les imbéciles ! Chaque sou de mon dû.