Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/19

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charme, tout ce qui peut vous plaire, et peut-être aussi cette vision de vérité que vous avez oublié de réclamer. »

Saisir, en un moment de courage, sur l’impitoyable déroulement du temps, une phase éphémère de la vie, ce n’est que le commencement de la tâche. La tâche, entreprise avec tendresse et foi, consiste à maintenir résolument, sans hésitation ni frayeur, devant tous les yeux et dans l’éclairement d’une sincère attitude, ce fragment de vie. Elle consiste à en faire paraître la vibration, la couleur, la forme, et, à travers sa mobilité, sa forme et sa couleur, à révéler la substance même de sa vérité, à découvrir le secret évocateur, la force et la passion qui se cachent au cœur de chaque instant persuasif. Dans un effort individuel de cette sorte, si on a assez de mérite et de bonheur, on peut parfois atteindre à une sincérité si parfaite qu’à la fin la vision de regret ou de pitié, de terreur ou de gaieté éveillera dans le cœur des spectateurs le sentiment d’une inébranlable solidarité, de cette solidarité dans l’origine mystérieuse, dans le labeur, dans la joie, dans l’espérance, dans une incertaine destinée qui unit les hommes les uns aux autres, et l’humanité tout entière au monde visible qu’elle habite.

Il est évident que celui qui, à tort ou à raison, demeure attaché aux convictions que l’on vient d’exprimer, ne peut être fidèle à aucune des formules temporaires de son art. La part durable qu’elles comportent — cette vérité que chacune d’elles dissimule imparfaitement — lui demeurera comme la plus précieuse des possessions, mais, réalisme, romantisme, naturalisme, — et même ce sentimentalisme officieux, qui, de même que les pauvres, est si malaisé à congédier, — tous ces dieux, après qu’il aura quelque temps vécu dans leur compagnie, doivent l’abandonner, fût-ce même sur le seuil du temple, aux bégaiements de sa conscience et au sentiment des difficultés de sa tâche. Dans cette pénible solitude, le cri